Léon Elchinger est né en 1871 à Soufflenheim (Bas Rhin), vieille cité de potiers depuis probablement l’époque gallo-romaine.
Vase datant de 1900. Collection particulière.Sa famille y exploite une poterie fondée en 1834 par son aïeul Wandelin Elchinger (1809-1895).La production consiste surtout, comme celle des autres potiers, en poterie culinaire en terre réfractaire destinée au marché alsacien mais aussi à ce qui n’était pas encore la « France de l’intérieur ». Comme pour les autres potiers il y a certainement une petite production d’objets décorés à l’engobe destinée au marché local.
L’annexion des deux départements alsaciens et du département de la Moselle par l’Allemagne en 1870-1871 eut comme conséquence la perte de la clientèle française. L’apparition rapide sur le marché d’ustensiles de cuisine en fonte ou en tôle émaillée, plus solides fit concurrence la terre cuite. Le père de Léon, Philippe Elchinger (1842-1906) sut évoluer, tout en continuant la production de céramique culinaire, il développe une production de céramique d’ornementation architecturale où le décor prend de plus en plus de place. Cette nouvelle activité se justifie par la politique urbaine allemande de rénovation et de création de nouveaux quartiers à Strasbourg (la Neustadt) et dans d’autres villes alsaciennes.
Vase symboliste à 4 masques féminins riants et grimaçants. Grès flammé. Hauteur : 33,5cm. Vers 1903. Collection particulière, Suisse.
Vase au serpent. Grès flammé au léger lustre métallique. Hauteur : 20cm Vers 1900/1905. Collection particulière.
Léon obtient le deuxième prix dans la section « Antique et Nature »
Son fils Léon fait de solides études au collège Saint-Etienne à Strasbourg parallèlement avec un apprentissage de potier dans l’atelier paternel jusqu’en 1887.L’année 1888 est consacrée à un stage chez Villeroy et Boch à Mettlach (Sarre) où il se distingue par ses copies d’ancien d’une facture remarquable. C’est de cette époque (1888-début des années 1890) que date une série d’assiettes ou de plats soit peints, soit décorés au fusain sous émail. Il s’agit probablement là des premières œuvres artistiques du jeune Léon produites à Soufflenheim. L’année suivante il suit une formation à la toute nouvelle école de céramique de Höhr-Grenzhausen dans le Westerwald en Allemagne. Il enchaine en 1890 avec l’Ecole des Beaux-Arts de Nancy (France) où il suit notamment les cours de modelage et de sculpture d’Ernest Bussière qui devint célèbre pour son œuvre de céramiques à formes végétales ou animales et d’inspiration très naturaliste. Léon obtient le deuxième prix dans la section « Antique et Nature ». Ce séjour lui permet de se lier d’amitiés avec les futurs artistes de l’Ecole de Nancy. A la rentrée de la même année il rejoint la toute nouvelle Ecole des Arts Décoratifs de Strasbourg (Kunstgewerbeschule). Il y rencontrera bon nombre des futurs acteurs de la vie artistique alsacienne. Pendant sa scolarité, le peintre munichois Anton Seder qui dirige l’Ecole prend vite conscience des talents du jeune homme et lui confie ses cartons (6 allégories féminines : l’Archéologie, l’Architecture etc.) en vue de réaliser des panneaux céramiques (hauteur 3 m) destinés à la façade principale du nouveau bâtiment de l’Ecole à la Krutenau. Il réalise ce travail dans les ateliers de Soufflenheim. Anton Seder vient régulièrement en calèche depuis Strasbourg surveiller l’avancement des travaux. Il s’agit de la première œuvre d’envergure du jeune céramiste qui n’a alors que 21 ans.
Vase au grès flammé "craquelé" à décor incisé de feuille de marronnier. Hauteur : 26cm. Vers 1908. Collection particulière.
Singe presse-papier en grès flammé, réalisé d'après un carton de Ringel d'Illzach. Hauteur : 13,5cm. vers 1905-1910. Collection particulière.
A partir de 1893 il retourne dans l’entreprise familiale où il travaille avec son père et son frère ainé Charles qui dirige la partie technique. La production semble à ce moment toujours axée autour de la céramique architecturale.
En 1895 à l’Exposition « Industrie et Artisanat » de Strasbourg la firme Philippe Elchinger et Fils présente une grande fontaine murale d’extérieur, représentant une allégorie du monde marin. Elle fut primée et acquise par un musée de la ville de Berne, elle semble malheureusement avoir disparu.
Ce procédé particulier venu du Moyen-Orient se révèle entièrement nouveau dans son expression artistique
Vase à quatre anses. Décor à l'engobe de pommes et branches de pins. Hauteur 20cm. Avant 1918. Collection particulière.
Remarqué par les autorités culturelles allemandes Léon Elchinger obtient une bourse d’Etat pour des stages à l’étranger (1895-1897) qui lui permettront de poursuivre tant ses connaissances techniques que de se frotter aux bouillonnements artistiques qui secouent les différents pays de l’Europe en cette fin de siècle. En Angleterre il fait entre autre un séjour chez le célèbre fabriquant de porcelaine plus que bicentenaire Wedgwood, en Hongrie il se rend à Pecs où il travaille à la manufacture Zsolnay qui produit depuis 1893, en continu, des vases Art Nouveau à reflets métalliques lustrés selon la technique dite de l’éosine. Ce procédé particulier venu du Moyen-Orient se révèle entièrement nouveau dans son expression artistique en donnant aux surfaces une profondeur presque irréelle. Un des buts poursuivis lors de ces différents stages est l’utilisation des fours de cuisson à haute ou basse température. Avant de rentrer à Soufflenheim il fait un détour par Venise et Florence où il s’imprègne de l’Art de la Renaissance Italienne notamment des maitres florentins du Quattrocento, Lucca et Andrea della Robbia.
Avant de continuer la biographie de Léon Elchinger il y a lieu de faire le point sur les principales tendances de l’art de la céramique pendant la dernière moitié du XIXème siècle. Elle se caractérise par des progrès techniques ou par des redécouvertes de techniques anciennes, il faut citer notamment Théodore Deck (1823- 1891) à qui l’on doit entre autre la redécouverte du bleu turquoise déjà utilisé lors de la construction de la porte d’Ishtar à Babylone en 580 av JC , mais aussi les frères Delphin (1836-1907) et surtout Clément (1844-1017) Massier en France, Zsolnay en Hongrie ainsi que William de Morgan en Grande- Bretagne et certainement beaucoup d’ autres qui exposèrent en 1889 des pièces aux émaux «lustrés » dont on fait remonter l’origine au IXème siècle av JC dans ce qui est aujourd’hui l’Irak. D’autres progrès techniques encore pourraient être cités.
L’autre caractéristique de l’époque est la recherche de nouvelles formes et de nouveaux décors s’inspirant de l’esthétique islamique, turque, hispano-mauresque mais aussi extrême-orientale notamment les céramiques japonaises présentées aux Expositions universelles de 1867 et 1878 qui redonne de la valeur à la dissymétrie, aux déformations, à la rugosité de la matière brute et au hasard des coulures d’émail. Le côté japonisant est surtout initié par Jean Carriès (1855-1894) mais tous les autres mouvements artistiques de l’époque tels que l’historisme, le symbolisme, le folklore régionaliste eurent leur traduction dans l’art de la céramique.
Vase Art-déco d'inspiration cubiste. vers 1920/1930. Hauteur : 20cm. Collection particulière.
Vase Art-déco. Hauteur : 20cm vers 1920/1925. Collection particulière.
La rencontre avec Charles Spindler donna lieu à une fructueuse collaboration
Vase céramique flammée brillant.Hauteur : 24cm. vers 1920/1930. Collection particulière.Léon Elchinger, à son retour en Alsace, intègre le Cercle de Saint-Léonard crée quelques années au paravant par Charles Spindler (1865-1938) et Anselme Laugel (1851-1928). Il y retrouve ses anciens condisciples de l’Ecole des Arts Décoratifs tels qu’Auguste Cammissar, Charles Weiss, Paul Braunnagel, Georges Rittleng qui fut un grand ami de la famille Elchinger, le sculpteur Marzolff etc.
La rencontre avec Charles Spindler donna lieu à une fructueuse collaboration, celui-ci ébéniste lui demanda des vases en grés flammés ou lustrés pour être intégrés dans le mobilier de sa création. Ensemble ils se distingueront brillamment aux Expositions Universelles de Paris de 1900 et de Saint –Louis aux Etats Unis ainsi qu’à d’autres manifestations artistiques internationales telles que Turin en1902, ,Dresde en 1906, Leipzig 1908. A noter que ces expositions artistiques internationales permettent aux artistes de comparer leurs productions et de générer une saine émulation. La publication de nombreuses revues artistiques va dans le même sens.
Tantôt symbolistes, tantôt naturalistes
Dans l’œuvre proprement dite de Léon Elchinger, il faut distinguer deux sortes de production l’une qui se limite probablement au tout début et consiste en pièces produites en petites séries, de forme souvent répétitives mais qui de par les émaux mis en œuvre deviennent pratiquement des pièces uniques . C’est là qu’il faut situer les vases et cache-pots qu’il produit en collaboration avec Charles Spindler, ou les pièces de formes avec des sculpteurs tels que Ringel d’Illzach ou Marzolff. Les vases de cette époque issus de son inspiration personnelle sont tantôt symbolistes tantôt naturalistes, ou jouent simplement sur l’adéquation de la forme et des émaux dans le goût de Carriès , mais préférant souvent aux émaux mats de ce dernier, des émaux brillants , parfois lustrés . Comme beaucoup de créateurs artistiques de l’époque il est influencé par le mouvement « Arts and Crafts » qui s’est donné comme objectif de mettre à la disposition du plus grand nombre des objets de qualité et de bonne facture esthétique à un prix abordable. C’est dans ce cadre que se situe la deuxième partie de l’activité artistique, elle reprend la technique traditionnelle de Soufflenheim : terre cuite et décor à l’engobe. Les décors mais aussi les formes ou plutôt les volumes - et c’est là que réside l’originalité de la démarche de Léon Elchinger par rapport aux autres potiers - sont entièrement repensés dans un esprit Art Nouveau qui n’appartient qu’à lui. D’un autre côté il reste tout à fait traditionnel en déclinant toutes ses pièces (vases, cache-pots, cruches) en plusieurs tailles (généralement 6).Un autre point où l’on retrouve un certain « atavisme » du potier traditionnel, c’est le nombre important de cruches parmi les modèles présentés. La cruche reste toujours la production emblématique du potier de tradition familiale. Les décors sont souvent des fleurs stylisées, ou d’autres végétaux tels que pommes de pin et pampres de vigne (ces deux thèmes traverseront sous différentes formes la production de la manufacture Elchinger jusqu’après la Seconde Guerre Mondiale), reproduits sur des modèles différents. Sur les vases du tout début du XXiéme siècle on trouve des décors d’insectes et de poissons très semblables aux verreries de Meisenthal ou à celles de Gallé.
Vase double col. Epoque Art-déco. Hauteur : 25cm. Après 1925. Collection particulière.
Vase époque Art-déco. vers 1925. Collection particulière.
Plus on se rapproche des années 20 et de la période Art Déco plus les décors deviennent géométriques, qu’il s’agisse de représentation de fleurs ou de simples lignes géométriques sans significations particulières autre que le jeu des volumes et des couleurs. Dans les années 20 reviennent également les grés à lustre métallique qui avait un peu disparu depuis 1910. Grâce à une cuisson plus perfectionnée le résultat donne des effets encore plus précieux. C’est à la même époque que la Manufacture Elchinger entre dans le cercle restreint des manufactures artisanales qui produisent pour les Grands Magasins parisiens notamment le Printemps qui commercialise sous le nom de Primavera des objets décoratifs de facture rustique mais de caractère résolument Art Déco.
Figurine représentant un Toucan réalisé par Elchinger pour Primavera. Hauteur : 27cm. Vers 1925.
Au début des années 30 il transmet la gestion de l’entreprise à ses deux fils Raymond (1904-1987) et Fernand (1911-1975) .Le fils cadet Léon Arthur se consacra à la vie ecclésiastique et devint évêque de Strasbourg en 1958.Léon Elchinger commence une « nouvelle » carrière des œuvres céramiques de caractère religieux dont la plus importante et malheureusement méconnue est le Chemin de Croix du Mont Saint-Odile. C’est également à cette période qu’il crée une petite série de statuettes de personnages du folklore alsacien.
Il décède en 1942.
Vase gris à décor de lignes géométriques. Vers 1925-1934. Collection particulière.
Ce grand artiste a marqué un demi-siècle de l’histoire de la céramique en Alsace, mais à cause du tiraillement de sa province entre la France et l’Allemagne le souvenir de l’importance de son œuvre a pratiquement disparu, à ce jour aucune étude approfondie ne lui a été consacrée.
Bibliographie :
Catalogue de l’exposition : Léon Elchinger-Céramiste- 1871-1942.
, Musée Historique d’Haguenau. 1992
-Articles de Pia Wendling, Marc Elchinger et d’Etienne Martin
Internet : voir Cercle de Saint Léonard.
La céramique de Soufflenheim-150 ans de production en Alsace- 1800-1950.
Edition « Lieux dits » 2003
- Texte: Emile Decker, Olivier Haegel, Jean-Pierre Legendre, Jean Maire.
Vase à décor de branches et de pommes de pins. Décor à l'engobe. Vers 1900. Hauteur : 28,5cm. Collection particulière.
Vase bleu, avec frise animalière, décoration par P.J. Walter. Hauteur : 20cm. Vers 1928-1934. Collection particulière.
Serre-livres représentant un alsacien et une alsacienne. Hauteur : 18cm. Vers 1936-1937. Collection particulière.
Vase à décor très épuré d'inspiration japonisante. Hauteur : 27,5cm. Collection particulière.