"Autoportrait". Huile sur panneau. 47x38,5cm. SbG et datée 1924. collection privée.

"Autoportrait". Huile sur panneau. 47x38,5cm. SbG et datée 1924. collection privée.

Lothar von Seebach : un œil vif, une palette harmonieuse, une main divine!

par Julien & Walter Kiwior

La bourgeoisie s’empressait d’acheter ses peintures pour décorer les appartements cossus de la Neustadt



L’émerveillement, voilà ce que nous procure une œuvre de Seebach ! Il nous donne à voir ce que nous aimons. Il est quasiment impossible de décrire son émotion ou ce qui peut nous animer devant un paysage de la main du maître. Il connaissait bien l’émotion et la plénitude de l’âme humaine. A ses débuts, il était connu pour être un peintre de fleurs, car en ce temps-là, un peintre se devait d’avoir une spécialité. La bourgeoisie s’empressait d’acheter ses peintures pour décorer les appartements cossus de la Neustadt. Mais derrière cette façade publique se cachait un peintre génial, passé maître en peinture, que ses plus fidèles amis pouvaient admirer - pas de mondanité, pas de promotion inutile, pas de dérangement dans son processus créatif. Il fallait en aucun cas perturber son petit monde, qu’il s’était peu-à-peu construit autour de son atelier de la porte de l’hôpital de Strasbourg : le quartier, les petites gens de la Krutenau, les élèves, les modèles, ses sorties sur les berges de l’Ill, à la petite France, au port du Rhin, à Kehl, dans le Ried, etc… cela constituait sa source d’inspiration et faisait germer des superbes toiles. Une anecdote raconte bien mieux cet aspect de l’artiste : « Le voilà qui, une nouvelle fois, sort « chercher sa proie », équipé de sa mallette, d’un parapluie et d’un siège. Il aperçoit quelques maçons en train de crépir la façade d’une maison en plein soleil. Seebach lève son regard par-dessus son pince-nez et pense : sapristi ! Ces couleurs insolites ! Il prend place sur son siège, au milieu de la rue, et se met à peindre. Au bout d’une demi-heure, il s’en va ravi, avec, sous les bras, des maçons, l’éclat du soleil et un reflet » … telles étaient les joies de cet infatigable travailleur. Il peindra pendant un demi-siècle à Strasbourg, et laissait derrière lui une génération d’élèves qui deviendront eux-mêmes, pour certains, des peintres renommés. Il y a vraiment une école de peinture qui est née grâce à Seebach. Il excellait dans presque tous les genres et son œuvre s’inscrit dans son temps, à tel point qu’elle demeure de nos jours un témoignage de la belle époque à Strasbourg.

Lothar von Seebach introduisait, bien avant ses collègues artistes, l’art de l’impressionnisme français en Alsace. Rien ne prédisposait ce peintre à endosser ce rôle, mais les circonstances de l’histoire l’amenaient à s’installer à Strasbourg.

"Nature morte au gibier". Huile sur toile. 55,5x68cm. SbD et datée 1881. collection privée.
"Nature morte au gibier". Huile sur toile. 55,5x68cm. SbD et datée 1881. collection privée.

Très tôt le futur artiste montrait un certain talent artistique. Les parents trop fiers d’un enfant si précoce, entretenaient chez lui cette aptitude



Le jeune Seebach vit le jour à Fessenbach, non loin de la ville d’Offenburg en Allemagne à quelques kilomètres de Strasbourg. Son père, le Baron Julius von Seebach, officier de cavalerie chez les hulans, effectuait une belle carrière de militaire. De garnison en garnison, Mannheim, Bruchsal, Rastatt, … le jeune Seebach ne connaissait pas de petite patrie. Très tôt le futur artiste montrait un certain talent artistique. Les parents trop fiers d’un enfant si précoce, entretenaient chez lui cette aptitude. Lothar von Seebach suivait à l’âge de onze ans un petit enseignement chez Emil von Heimburg. En 1872, Seebach obtenait son baccalauréat (abitur) et allait s’inscrire à l’Académie des beaux-arts de Karlsruhe (Grossherzogliche Kunstschule). Pourtant, le jeune Lothar von Seebach suivait depuis une année déjà une formation à l’Académie de Karlsruhe et il avait atteint le premier cycle d’enseignement avant même de s’inscrire ! En effet, l’Académie dispensait un enseignement en 3 cycles de trois années chacun. Or, les professeurs de Seebach remarquaient son travail et sa virtuosité. Ils disaient de lui qu’il était un élève « hochbegagt » (talentueux). Dès son inscription à l’Académie, il passait immédiatement au second cycle d’enseignement sous la direction du directeur de l’établissement Wilhelm Riefstahl. Lothar von Seebach avait, selon son professeur, acquis suffisamment de capacité pour atteindre l’année suivante le dernier cycle d’enseignement de l’Académie. Lothar von Seebach se trouvait ainsi, de 1873 à 1875, sous l’influence du jeune professeur Ferdinand Keller, peintre d’histoire et de portrait. Durant ce dernier cycle d’enseignement, l’Académie confiait au jeune artiste la réalisation d’une fresque d’un bâtiment public à Karlsruhe, et montrait la grande admiration des professeurs pour ce brillant élève. Ferdinand Keller avait profondément influencé Seebach, et il espérait l’avoir gagné à son style. A cette époque, la peinture allemande était marquée par le style Makart, du nom du peintre autrichien Hans Makart. Cette peinture empruntait à l’historicisme pompeux et au brun d’atelier qui pouvait virer à une coloration bitumeuse, et dont les sujets étaient la grande histoire. Ferdinand Keller était un parfait suiveur de ce style, il avait intégré l’Académie pour sa peinture d’histoire. Hans Makart mourait en 1884, et avec lui disparaissait ce genre. C’était l’avènement de nouveaux courants artistiques qui allaient bousculer la peinture d’atelier et notamment par le pleinairisme.Gentilhomme en costume du XVIIIe, regardant par la fenêtre. Huile sur panneau. 35,5x27cm. SbG et datée 1887. collection privée.
Gentilhomme en costume du XVIIIe, regardant par la fenêtre. Huile sur panneau. 35,5x27cm. SbG et datée 1887. collection privée.


Von Seebach rejoignait sa famille qui habitait depuis 1872 Strasbourg. Il effectuait une année de service militaire au 25e régiment d’infanterie. De ce court séjour dans l’armée du Kaiser, il en conservait un souvenir admiratif pour la discipline militaire. Ceci fait écho à la rigueur de son travail et à son mode de vie. Lothar von Seebach était réputé pour sa sobriété. Il ne buvait point, pour lui l’enivrement était inapproprié pour un artiste. Il fit peu d’excès et ne vivait point comme un bohême. Monsieur le Baron se contentait de quelques plaisirs anodins : « Le cigare, c’est la fumerie idéale pour un peintre… La pipe se refroidit, on perd du temps à la bourrer, il faut en avoir plusieurs et les entretenir ; - la cigarette, c’est tout de suite fini !... Vive le cigare qui permet au peintre de rêver en travaillant ! ».

Son atelier était aussi relativement sobre, et contrastait avec les autres ateliers d’artistes. Son atelier était perché dans la tour de l’hôpital datant du XVIe siècle. La ménagère, Madame Bohle s’occupait consciencieusement de l’entretien de l’atelier. Elle deviendra aussi un modèle pour l’artiste. Il travaillait toute la journée en atelier ou à l’extérieur et rentrait tard chez lui rejoindre sa famille. Lothar von Seebach conservait ce rituel journalier au point que son atelier était encombré de milliers d’œuvres, dont un petit échantillon seulement était à vendre.


On aime à décrire sa personnalité comme ironique, disciplinée, sensible, réservée, allant à la méfiance, mais toujours noble d’esprit et paternaliste.



Autre fait marquant, fut le décès de son père, en 1883. Seebach devait avec son autre frère subvenir aux besoins du reste de la famille. La bonne fortune qu’il avait acquise de la vente de ses œuvres permettait à la famille de vivre dignement. Il devait dès lors interrompre ses voyages d’études. Il est très probable que cette épreuve avait marqué von Seebach, qui conservait une frugalité dans son quotidien. Il habitait avec les autres membres de la famille et restait célibataire durant toute sa vie. On aime à décrire sa personnalité comme ironique, disciplinée, sensible, réservée, allant à la méfiance, mais toujours noble d’esprit et paternaliste.
"Paris, vue de la Tour Eiffel". Aquarelle. 34x24cm. Cachet en bas à droite. collection privée.
"Paris, vue de la Tour Eiffel". Aquarelle. 34x24cm. Cachet en bas à droite. collection privée.
Son installation à Strasbourg a d’abord lieu dans un atelier de la place Kléber, mais qu’il quitta rapidement pour la tour de l’hôpital. Il connaissait un succès rapide et sûr. Il peignait encore en ce temps-là dans le style de Ferdinand Keller. Il composait des natures mortes avec une influence de l’école hollandaise du XVIIe siècle, des natures mortes aux gibiers et parfois des portraits. Il élaborait sa peinture dans une esthétique typique XIXe siècle, tout à fait en accord avec l’esprit bourgeois de son temps. Il est vrai qu’il serait resté bien anonyme s’il avait conservé cette manière de faire, mais en ce temps-là, c’était à la mode. Il connaissait aussi certains membres des familles patriciennes qui représentaient la société strasbourgeoise, et qui devenaient sa clientèle. Très bien intégré, Lothar von Seebach s’accommodait merveilleusement de cette société alsacienne pas toujours avenante avec les allemands d’outre-rhin. La période est aussi très favorable à von Seebach, car depuis la guerre franco-prussienne de 1870-71, l’Alsace est un désert artistique. Une aubaine pour l’artiste, qui se trouvait quasiment seul à contenter le marché de l’art à Strasbourg.


Durant la décennie des années 1880, il devient un spécialiste des bouquets de fleurs, un genre de plus en plus prisé à Strasbourg.



"Jetée de roses dans un pot". Huile sur toile. 54x73cm. SbD. collection privée
"Jetée de roses dans un pot". Huile sur toile. 54x73cm. SbD. collection privée
Durant la décennie des années 1880, il devient un spécialiste des bouquets de fleurs, un genre de plus en plus prisé à Strasbourg. Il compose des très grands formats en tout genre dans un décorum qui deviendra avec le temps de plus en plus sobre. Il est vrai que ces premières compositions étaient très imprégnées par la peinture dite pompier, mais il abandonne tous les artifices pour se concentrer à l’essentiel du sujet. Il s’agit aussi de sa peinture alimentaire. Il ne devait donc pas heurter les sensibilités bourgeoises de sa clientèle. Il vendait suffisamment bien ces toiles, qui permettaient à Seebach de conserver les autres sujets qu’il n’exposait pas ! La peinture de fleurs restait un genre qu’il pratiquait tout au long de sa carrière, contrairement à certains sujets tels que les scènes de genre à la manière d’Ernest Meissonnier dans une ambiance rococo. Il s’agissait-là d’une très courte tentative restée infructueuse.

Il était peu connu pour ses paysages ou ses nus ou encore pour les scènes de genre. Le journaliste contemporain de l’artiste, Pascal David, devait un jour constater ceci à propos de sa peinture : « Nous avons en pensée à nous faire pardonner auprès de l’artiste d’un grand tort. Selon les tableaux occasionnellement exposés dans les vitrines du marchand d’art Edel-Büchel, nous le tenions pour un spécialiste de peinture à fleurs. Et voilà un peintre d’une étonnante diversité, légèreté et adresse. Il nous conduit aux porteurs de charbon et transporteurs de minerai, il nous montre la forge et le tailleur de pierre. Il nous mène à l’atelier du sculpteur et au stand des femmes du marché, il donne à voir la vieille blanchisseuse avec le baquet, le jardinier et son panier. Il ne peint cependant pas la vie du peuple au travail dans un style de la peinture misérabiliste, mais simplement, vraie et sobrement, tel un véritable réaliste. Par sa technique, le peintre est un adepte du plein air, mais bien loin de faire l’éloge des excès des « plein-airistes sauvages » de l’impressionnisme dans le bon sens du terme ! » Nous pourrions penser à tort que Seebach vivait de toute sa peinture ! Or, il conservait pour lui ses précieuses vues, ses animations du petit Strasbourg et vendait difficilement ses œuvres et surtout à un prix élevé. Ce n’est que très tardivement que le public alsacien s’apercevait de l’ensemble de sa création. Pour couronner le tout, il disait à ce sujet : « Je ne peins pas des tableaux, seulement des études. » Au début, sa peinture dite de passion ne devait pas avoir trouvé beaucoup d’acquéreurs à Strasbourg et dans la région. Le goût des autochtones a été longtemps guidé par une approche très classique. Ainsi, sa peinture d’avant-garde était passé inaperçue pendant près de vingt-cinq ans ! Seuls les amis, les élèves et les vrais amateurs devaient avoir droit de regarder cette production d’avant-garde, autofinancée par les commandes. Son atelier devenait une immense réserve de tableaux peint depuis des décennies, dont beaucoup d’entre eux n’étaient même pas signés ou l’étaient plus tard. Des milliers d’aquarelles, de dessins, s’entassaient. Il les conservait comme des reliques ou des souvenirs. Cet aspect de la diffusion de sa peinture explique beaucoup l’ignorance que nous avons aujourd’hui de son art et la difficulté de son authentification.


Malgré ce succès et une notoriété grandissante pour la peinture à fleurs, Lothar von Seebach allait changer de cap et s’orienter vers la peinture impressionniste française.

"Bord de rivière sous la neige". Huile sur toile. 49x61cm. SbG. collection privée.
"Bord de rivière sous la neige". Huile sur toile. 49x61cm. SbG. collection privée.

Malgré ce succès et une notoriété grandissante pour la peinture à fleurs, Lothar von Seebach allait changer de cap et s’orienter vers la peinture impressionniste française. L’évolution qui le caractérise se fait silencieusement, par étape. Seebach introduit de la couleur et se libère du carcan de l’académisme. Il avait très tôt effectué des voyages et cherchait de nouveaux horizons pour sa peinture. Il prétendait avoir subi aucune influence en particulier, mais il est fort à parier qu’il a renouvelé sa palette lors de ses fréquents voyages à Paris ; 1879, 1880 et 1882. Il a probablement vu les expositions impressionnistes et les autres artistes satellites comme Manet. Il abandonne progressivement le brun d’atelier et les glacis de la peinture académique. Ses toiles s’éclaircissent et empruntent de plus en plus à l’art impressionniste, à tel point qu’à la fin des années 1880, Lothar von Seebach peut être qualifié de peintre impressionniste. Le critique Ferdinand Reiber explique dans le journal strasbourgeois « Le Mirliton » la mutation de l’art de von Seebach : « Tout ce qu’il peint, il l’a vu en nature et il le rend avec fidélité (…) Pour définir le caractère particulier de sa peinture, nous forgeons une expression spéciale, et nous l’appellerons un réalisme gras et lumineux. Une visite au Salon de Paris, en 1882, influença considérablement l’artiste. A partir de cette époque, il modifia sa facture : elle devint plus large et plus hardie. » Un autre critique d’art avait remarqué la nette évolution de l’artiste depuis quelques années, Adolphe Seyboth tenait les propos suivants : « M.Seebach nous ouvre une fenêtre, un beau matin de printemps, sur la vraie nature inondée d’air et de soleil. Ces tailleurs de pierre ont sans doute le don de dérouter et d’inquiéter ceux qui ne sont pas suffisamment initiés aux tendances de l’élite des artistes contemporains. C’est une nouvelle chapelle qui se fonde à côté de l’ancienne église, et M. de Seebach paraît avoir la foi qui fait des miracles ! C’est la peinture d’avenir, comme il y a la musique de l’avenir ! Foin des vieilles formules, plus de convenu, il faut désormais du vrai ; mais du vrai interprété par des artistes, à travers leurs personnalités, à travers leurs sentiments les plus intimes ; du vrai, non pas rendu par un appareil photographique, mais par un être vivant qui pense, qui s’émeut et qui sait émouvoir les autres ! » Adolphe Seyboth évoque avec justesse la toile intitulé « Les tailleurs de Pierre du Heyritz » datée de 1887. A cette époque, on peut déjà observer la touche impressionniste de Seebach, qui se caractérise aussi par un sujet. Il avait une âme pour les gens et pour le travail, le quotidien. En cela, il s’approche des préoccupations de Max Liebermann, le grand peintre impressionniste allemand de cette époque et que devait très probablement connaître Seebach. Il scrutait la ville pour capter les instants. Il nous a rapporté des illustrations de puciers, de balayeurs de nuit, de patrouilles de gendarmes, des haleurs, des pelleteurs, etc… Ce sont des métiers oubliés ou totalement modifiés, qui nous offrent une image plus ou moins fidèle de ce temps. De nos jours on pourrait y voir une formidable trace ethnographique. Ce n’était probablement pas l’objectif de Seebach. Il s’enthousiasmait de ces vues, de ces scènes d’atelier, des couleurs, de son environnement. Il faut se rappeler que durant le Reichsland d’Alsace-Loraine, les sujets tout comme la technique de peinture était encore rigoureusement dictée par les écoles, les salons officieux. Strasbourg n’échappait pas à cette règle. La peinture de Seebach ne pouvait pas être comprise de ses contemporains. Il a fallu atteindre le début du XXe siècle pour voir les mentalités évoluer, car une nouvelle génération était disposée à regarder le monde autrement et célébrait la peinture de Seebach.

"Neige fondante" Huile sur toile. 38x46cm. SbD. collection privée.
"Neige fondante" Huile sur toile. 38x46cm. SbD. collection privée.
"L'artiste et ses jeunes admirateurs". HsT marouflée sur panneau. 34x45cm. collection privée.
"L'artiste et ses jeunes admirateurs". HsT marouflée sur panneau. 34x45cm. collection privée.

Il s’était rapproché de la jeune génération des impressionnistes et s’associait à eux, même s’il se défendait d’appartenir au groupe.



Il est très probable que la peinture d’Edouard Manet, figure de l’impressionnisme français, ait touché le jeune Seebach par sa technique. En effet, Manet s’opposait à l’académisme et introduisait la peinture moderne au salon ! Il s’était rapproché de la jeune génération des impressionnistes et s’associait à eux, même s’il se défendait d’appartenir au groupe. Il faut remarquer le style de Manet, qui est très enlevé, et très libre. Il peint d’un jet ses sujets. Lothar von Seebach a rapporté de Paris une tonalité nouvelle, sa palette est débarrassée de la tradition. Lothar von Seebach adopte également le contour Brun-noir si caractéristique de l’art de Manet. Ce dernier avait une bonne maîtrise du dessin et à l’aide de contour simple avait une expressivité. Lothar von Seebach avait justement capté cette caractéristique et la transfigurait à sa manière sur le ses toiles. Seebach disait de sa peinture : « Si je rends exactement les valeurs d’un paysage, comment voulez-vous que je ne rende pas en même temps l’émotion que je ressens devant ce paysage ? » N’est-ce-pas un écho à la devise même de Manet qui disait à son tour : « Je ne peins que ce que je vois » ? Parmi les plus belles œuvres de Seebach nous trouvons de nombreuses toiles inachevées, brossées d’un jet, en une demi-heure tout au plus ! Elle témoigne de sa haute maîtrise du dessin enlevé qui transpire de vérité.

"Miss Mary au grand chapeau". Huile sur toile. 130x97cm. collection privée.
"Miss Mary au grand chapeau". Huile sur toile. 130x97cm. collection privée.
Les cocottes du quartier, venaient elles aussi poser pour Monsieur le baron. Il affectionnait quelques modèles féminins qu’il peignait très souvent. Il s’agit notamment d’Eulalia, surnom donné à une ravissante brune au teint de porcelaine. Elle se dénommait Margret. Seebach la soutenait pour achever ses études et elle resta proche de lui. Lothar von Seebach eu également une rousse, une autre brune, qui revenaient régulièrement à l’atelier. La dernière égérie de Seebach fut Miss Mary, une plantureuse blonde, élancé qui posait indéfectiblement pour le grand maître. Le genre du nu représentait l’excellence de son art. Très souvent inachevé, les nus de Seebach offrent une lumière supplémentaire dans la lecture de son œuvre. Il aimait à réaliser les silhouettes en utilisant la couleur magenta. Cette délimitation de la chaire, la vibration des lignes vertigineuses, nous laisse planer sur les formes, le fond n’est plus que superflu. Il modelait la chaire, par une couleur « Boue », tels sont les propres mots du maître rapportés par un témoin de l’époque : « Les inconcevables et inimitables nus de Lothaire de Seebach… des nus qui demeurent toujours juvéniles, beaux et chastes, des nus aux chairs nacrées, aux carnations délicates. Admirez toujours, me disait-il, c’est peint avec des ocres, du brun rouge et du bleu… presque de la boue. Mais j’obtiens ce résultat par le jeu des valeurs ! »"Eulalia au chapeau de fleurs". Huile sur toile. 61x50cm. collection privée.
"Eulalia au chapeau de fleurs". Huile sur toile. 61x50cm. collection privée.

La texture de la peinture de Seebach participe également de sa magie. Au départ, elle était relativement lisse et correspondait aux canons de l’académisme. Elle évoluait vers plus de plasticité, limite visqueuse, laissant transparaître de la brillance. Ainsi, Seebach obtient un modelé, comme un sculpteur obtient des formes, ceci est davantage perceptible après les années 1890. Il est très aisé d’identifier une peinture de Seebach, car la pose de la peinture est quasiment unique ! La vraie signature d’un artiste est dans son empâtement et non sa signature.


Malgré sa pudeur publique, il formait dans son atelier une génération d’artiste qui était influencé par sa technique et son art.



Malgré sa pudeur publique, il formait dans son atelier une génération d’artiste qui était influencé par sa technique et son art. Il accueillait aussi bien des dames, que des futurs artistes et des amateurs d’art. Nous citons simplement quelques noms de peintre qui ont fréquenté son atelier : Lucien Blumer, Auguste Cammissar, Adolphe Graesser, Elisabeth Haentzschel, Lucien Haffen, Martin Hubrecht, Jules Jaeger, Paul Leschhorn, Hans Mathis, Gustave Muller-Valentin, Henri Solveen, Paul Spindler, Lina Steinmetz, Paul Welsch,…

Bien des noms manquent à cette liste non-exhaustive, qui montre l’importance de son influence dans la peinture en Alsace et notamment à Strasbourg.

Certains de ses élèves ont eux-mêmes poursuivi l’aventure impressionniste à leurs manières. Lucien Blumer ou Paul Welsch s’orientaient vers un post-impressionnisme tout-à-fait français, Lucien Haffen devenait un coloriste fougue et éclatant, Martin Hubrecht avait trouvé un temps son bonheur dans la Nouvelle Objectivité mais pour finalement s’abandonner à l’impressionnisme à sa maturité.
"La cathédrale depuis la place du Marché aux cochons de Lait". Huile sur toile marouflée sur panneau. collection privée.
"La cathédrale depuis la place du Marché aux cochons de Lait". Huile sur toile marouflée sur panneau. collection privée.
"Vue de l'ancienne bibliothèque municipale et la cathédrale". Huile sur toile. 61x50. SbG. collection privée.
"Vue de l'ancienne bibliothèque municipale et la cathédrale". Huile sur toile. 61x50. SbG. collection privée.

Le dessin est la base de tout… Si on ne sait pas dessiner, si on se perd et se noie en appliquant sa pâte, c’est inutile d’essayer de peindre !



Seebach avait une idée bien précise de ses leçons. Il était un maître exigent et ambitieux, pour lui son enseignement se résumait à ceci : « Le dessin est la base de tout… Si on ne sait pas dessiner, si on se perd et se noie en appliquant sa pâte, c’est inutile d’essayer de peindre ! Je n’apprends pas autre chose à mes élèves. D’abord dessiner correctement, connaître à fond la perspective linéaire et aérienne. Ensuite, s’ils ne voient point comme moi, s’ils ne se contentent pas de ma bonne vieille et solide palette : dix teintes au plus ; tant pis ! Ou tant mieux pour eux !... Ils savent dessiner, c’est le principal. »

En effet, il appliquait à ses élèves ses propres acquis et enseignait qu’une bonne préparation permettait seule la réalisation d’une bonne peinture – un crédo tout à fait terre-à-terre pour ceux qui voulaient en vivre. Il donne libre cours à ses élèves en ce qui concerne le goût et ne cherchait jamais à les influencer.

Il est caractéristique de son art de retrouver sur toute toile, une couche jaune, ocre ou parfois gris-clair, que Seebach appliquait systématiquement. Ce n’est absolument pas une particularité propre à Seebach, d’autres peintres usaient de ce stratagème pour atténuer ou donner une certaine tonalité à la peinture. Le fond blanc des toiles était trop net et ne figurait pas dans l’état de nature, en tout cas d’après notre vision – nul part un blanc pur – pour exemple, la neige est une déclinaison, très sourde, de couleurs vives. Le fond jaunis s’interpose entre les tâches de peinture et lie insidieusement les couleurs pour former une habile trame. Lothar von Seebach cherchait dans cette technique, un liant discret. Il conservait ainsi ses coups de traits rapides, ses toiles portaient de l’émotion, de la fougue …
"Jeune garçon sur un cheval s'abreuvant". Aquarelle. 48x63cm. SbG. collection privée, Paris.
"Jeune garçon sur un cheval s'abreuvant". Aquarelle. 48x63cm. SbG. collection privée, Paris.


Pour conclure Seebach avait trouvé dans la pratique de la formation et de l’enseignement une amélioration de sa capacité d’observation. Il conseillait aux peintres cette activité : « Pour moi, l’école de peinture était également un travail sur moi-même. Ce fut une révélation pour beaucoup de choses… Voir en permanence des modèles autour de soi est extrêmement instructif. Dans tous les cas, je recommande à tout artiste de chercher à atteindre l’ultime perfection par l’enseignement même. »

Seebach peindra inlassablement durant toute sa vie. Sa première grande exposition fut celle de 1894 organisée par la Société des amis des arts de Strasbourg, qui réunissait dans une grande salle un bel ensemble d’œuvres de l’artiste. Il fallait attendre l’an 1900 pour la première rétrospective de sa peinture à la galerie Bader-Nottin. L’événement restait à nouveau confiné autour des mêmes amateurs et amis de l’artiste. Il s’investissait trop rarement dans la vie culturelle de sa ville ou de son pays, et il n’était pas quelqu’un qui recherchait la gloire. Il était tellement isolé que lors de son exposition au Verband der Kunstfreunde in den Ländern am Rhein, en 1909, Wilhelm Trübner remarquait alors pour la première fois Lothar von Seebach. D’après les mémoires de Charles Spindler, Trübner disait que Seebach avait résolu les problèmes de gamme des couleurs et des demi-tons que lui-même n’avait pas trouvé durant sa carrière. Seebach recevait du Verband la commande officiel d’un portait de l’ancien maire de la ville de Strasbourg, Otto Back, que conserve le Musée de Strasbourg. Un journaliste, Ulrich Rauscher du Frankfurter Zeitung disait « Lothaire de Seebach est sans conteste le peintre préféré des alsaciens, il est le poète épique parmi les peintres car son pinceau nous raconte mille choses avec une précision et une objectivité constantes, et nous montre tout le charme du quotidien… » Cette notoriété publique, tardivement acquise, lui était de plus en plus profitable et l’Académie des beaux-arts de Karlsruhe lui proposait un poste, qu’il refusa. Il avait cinquante-six ans et l’Allemagne découvrait un grand peintre. Il illustrait parfois la Revue alsacienne illustrée, dirigé par le très francophile Docteur Pierre Bucher. Il avait aussi participé aux Bals des artistes strasbourgeois organisés annuellement depuis 1904. Il disait, à loisir, qu’il ne voulait pas enlever le pain de la bouche de ses collègues artistes … Trop de bonté de la part du Baron Seebach, qui se contentait de sa simple réussite personnelle, acquise autour d’un cercle d’amis, d’amateurs qui grandissait bien évidemment avec le temps.

"L'Atelier de doreurs". Huile sur toile. 65X81cm. SbD. collection privée.
"L'Atelier de doreurs". Huile sur toile. 65X81cm. SbD. collection privée.

Une vie de labeur et de discrétion ne pouvait pas être subitement dérangée.



En 1913, pour fêter ses soixante ans, la Maison d’art alsacienne et la municipalité organisaient une très grande rétrospective de l’œuvre de Lothar von Seebach. Gustave Stoskopf en personne prononçait un discours élogieux, suivit de celui du Maire de Strasbourg Rudolf Schwander. Mais notre humble artiste ne paraissait pas à l’inauguration de sa rétrospective, malgré le grand honneur que faisait la ville de Strasbourg - hommage très rare pour un artiste ! Une vie de labeur et de discrétion ne pouvait pas être subitement dérangée. La grande exposition Seebach attirait pas moins de sept mille personnes et consacrait l’apogée de sa carrière d’artiste juste avant la grande guerre et le déclin de sa santé.

A l’été 1914, Seebach effectuait un séjour dans le Grison, plus précisément à la Majola où se trouvait une station de cure. Pourtant Seebach ne pouvait pas s’empêcher de continuer à peindre, en compagnie du Docteur Jules Jaeger qui l’avait accompagné. Depuis quelques années son art se modifiait, sa touche était plus lourde, sa peinture était encore plus grasse. Il perdait peu à peu la capacité de jouer avec les gammes de couleur. Il s’en apercevait lui-même et ne cherchait pas à lutter contre l’inéluctable déclin de ses forces.
"Montagne Rosso, Engadin". Huile sur toile. 61x50. SbG et datée "Juli 1914". collection privée.
"Montagne Rosso, Engadin". Huile sur toile. 61x50. SbG et datée "Juli 1914". collection privée.
"Cascade" (Majola ?). Huile sur toile 61x50cm. cira 1914. collection privée.
"Cascade" (Majola ?). Huile sur toile 61x50cm. cira 1914. collection privée.
En août 1914, la Grande Guerre éclate subitement. Seebach voit disparaître peu à peu un monde qu’il avait peint depuis quarante ans. Certains de ses élèves mouraient au front, la plus part étaient enrôlés dans l’armée allemande, disséminés à l’ouest, et surtout à l’Est, sur le Front russe - car les recrues alsaciennes étaient jugées peu patriotes !

Les restrictions de la guerre affectaient beaucoup l’artiste. Seebach peint sur des supports de mauvaise qualité et doit obtenir un laissez-passer pour aller peindre en dehors de la ville, à la Robertsau ! Enfermé dans Strasbourg, ne pouvant se déplacer que difficilement, il livre encore quelques-unes de ses meilleurs œuvres.

En novembre 1918, les strasbourgeois abattent les symboles prussiens dans toute la ville de Strasbourg. La statue équestre de Guillaume Ier est déboulonnée, la révolution des soviets est balayée par l’arrivée des troupes françaises qui paradent dans les rues. La cité se pavoise de drapeaux tricolores, les inscriptions en allemand disparaissent quotidiennement, les allemands sont expulsés sans coup férir, mais avec brutalité. La vie strasbourgeoise d’autrefois est emportée dans un tourbillon qu’on ne peut plus enrayer. Dans la liesse populaire en Alsace, des destins seront brisés. De nombreux artistes locaux devront plier bagage, quitter l’Alsace, car n’ayant ni les appuis, ni les conditions raciales requises pour demeurer à Strasbourg.

Seebach n’était pas pourchassé comme bien des allemands. Il disposait de contacts et de liens bien placés pour le préserver du bannissement dont faisait l’objet ses compatriotes. Seebach obtenait même la nationalité française, ce qui demeure une exception. Mais le changement avait modifié son petit monde. Le respect d’antan, qu’il avait acquis par la force de son labeur et par son intégration s’évanouissait subitement. Il ne rencontrait plus l’amabilité, ni auprès de certains collègues qui avaient pourtant fréquenté son atelier autrefois, ni auprès des institutions. Hans Haug le nouveau directeur des Musées de Strasbourg s’empressait de liquider la galerie des tableaux de Seebach exposés au Musée, grâce à des œuvres que l’artiste avait légué à la ville en 1919. Les œuvres étaient dispersées dans l’administration Strasbourgeoise et avec le temps disparaissaient totalement. Les frères Matthis chantaient « Mer sin Franzeesch », et résume l’ambiance générale.
"Allée de bouleaux". Huile sur toile. 40x29,5cm. collection privée.
"Allée de bouleaux". Huile sur toile. 40x29,5cm. collection privée.
"Paysage au cours d'eau avec un pont". Huile sur toile. 61x50cm. collection privée.
"Paysage au cours d'eau avec un pont". Huile sur toile. 61x50cm. collection privée.
Malgré le soutien de nombreux élèves restés fidèles à l’artiste, malgré le soutien des autorités en place, Lothar von Seebach décide de quitter Strasbourg en 1921. Touché au plus profond de lui, lui qui ne s’était soucié que de son art. Il prétexte une convalescence pour son départ. Il confie ses affaires au Docteur Jules Jaeger. Seebach s’installe auprès de l’un de ses anciens élèves, Werner Mollweide au lac de Constance. Là-bas, il ne retrouve pas le même enthousiasme que pour la ville de Strasbourg. La région de Constance n’est pas de son goût. Seebach interrompt son séjour et rejoint son frère August et sa femme Lily Picquard à Fessenbach. Il y trouve un court répit. Mais son malheur le poursuit lorsqu’il décide de vendre une grande partie de sa création dans une vente aux enchères à Frankfurt. Ses œuvres se vendent mal et l’hyperinflation allemande des années 1922-1923 achève de dévaluer complètement sa fortune.


L’incompréhension est grande de nos jours de ne pas voir une galerie consacrée à cet artiste dans les musées de Strasbourg.


"Baigneuse nue de dos au bord de l'eau". Huile sur toile. 100x80cm. SbG. et datée "1919". collection privée.
"Baigneuse nue de dos au bord de l'eau". Huile sur toile. 100x80cm. SbG. et datée "1919". collection privée.
Après ce désastreux exil, Lothar von Seebach, sur les conseils de son ami le Docteur Jules Jaeger, accepte de revenir à Strasbourg. La ville a retrouvé son calme et la fronde d’après-guerre s’apaise. Il y retrouve rapidement ses habitudes. Seebach habite désormais son atelier. Ses élèves le sollicitent beaucoup et il reprend l’enseignement de la peinture. On lui apporte des vivres et ses nombreux amis lui facilitent les tâches du quotidien. Seebach s’éteint le 23 septembre 1930 à l’hôpital Civil de Strasbourg. Il quitte ce monde en toute discrétion, pas d’hommage public, seuls quelques journaux relatent la nouvelle. Les anciens élèves organisent une exposition de leurs peintures sous la dénomination « d’atelier de la tour » en mémoire du maître. Lentement mais sûrement, Lothar von Seebach s’efface de la mémoire collective et sombre dans un oubli indescriptible. Depuis les années quatre-vingt-dix, Madame Brigitte Wilke a exhumé l’œuvre de Seebach. De nombreuses initiatives ont été réalisées pour faire reconnaître l’artiste. Des nouvelles recherches et une réactualisation de ses œuvres complètes pourraient aider à comprendre l’importance de sa peinture en Alsace. L’incompréhension est grande de nos jours de ne pas voir une galerie consacrée à cet artiste dans les musées de Strasbourg. Même si deux guerres mondiales ont perturbé la trajectoire initiale de la reconnaissance d’un grand artiste strasbourgeois. Elles ne peuvent expliquer et surtout justifier l’inaction en 2013 ! Puisque l’Alsace aime fêter les anniversaires, l’année passée aurait été une parfaite occasion pour célébrer le centenaire de sa grande exposition strasbourgeoise. Les idées ne manquent pas et il est plus que nécessaire de se pencher sur cette période de l’histoire de l’art très riche en Alsace. Malheureusement, Lothar von Seebach devra encore attendre dans les réserves du Musée, qu’un conservateur ambitieux ou qu’un adjoint à la culture dynamique prennent sérieusement en main la représentation de la peinture à Strasbourg. Tout vient à point à qui sait attendre !
"Bateaux au port". Huile sur toile. 46x55cm. collection privée.
"Bateaux au port". Huile sur toile. 46x55cm. collection privée.


Nota : Nous remercions les aimables collectionneurs de leur confiance et de nous avoir accordé le droit de reproduire leurs oeuvres.

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