Illustration (Photographie non contractuelle). Cela illustre le propos

Illustration (Photographie non contractuelle). Cela illustre le propos

Môssieu le Maire, on ne démolit pas la Maison Greder !

par Julien & Walter Kiwior

A notre énième étonnement, nous lisons dans les DNA en date du 17 mai 2020, un article intitulé « un recours contre la démolition de la maison Greder ». On y lit que le Maire du village Monsieur Gross, a pris la décision de démolir une maison en colombage, datant, tenez-vous bien de 1662 ! Oui, vous avez bien lu. D’après l’article de presse précité, le Maire n’en démord pas et il a même osé inscrire dans le permis de construire que l’immeuble date « d’environ 1900 » comme le signale l’article de presse. Quelle lâcheté … Soit Monsieur le Maire est tout simplement ignorant du patrimoine bâti de sa commune, soit il a une particulière complaisance pour un projet, dont à fortiori il semble dans un futur proche, pouvoir servir à auréoler son mandat. En tant que Maire, vous n’êtes pas seulement responsable de la sécurité des citoyens par votre pouvoir de police, du bon fonctionnement du service public administratif ou encore de l’entretien du stade de football du coin, vous avez aussi la responsabilité de ne pas enlaidir la commune de Gyderthe sous des prétextes de services publics. La culture ne s’arrête pas la ludothèque, à la musique folklorique, au cyclotourisme ou à la culture dialectale mais se prolonge jusqu’au patrimoine architectural, qui enrichit celle-ci. En tant que primus inter pares vous en êtes le premier garant. Sachez que les intérêts scolaires et patrimoniaux ne s’annulent pas mais s’additionnent !
Village d'Alsace (Préservation de l'architecture)
Village d'Alsace (Préservation de l'architecture)
En tant que Maire-bâtisseur (ceci est valable pour tous les bâtisseurs), vous avez le devoir de faire au moins aussi bien, voire mieux en ce qui concerne la construction in situ. C’est un gage. Franchement, voulez-vous nous faire croire que les Epers* en béton valent du colombage ? Dans la grande majorité, les constructions de cette dernière décennie rivalisent de nullité dans la qualité des matériaux, dans le soin apporté aux finitions et l’harmonisation des constructions avec les existants.Village d'Alsace. Exemple de "modernistation possible" (photographie non contractuelle)
Village d'Alsace. Exemple de "modernistation possible" (photographie non contractuelle)

Après-guerre, nous avons souffert des coulées de béton, d’une froideur inouïe ! Mais l’histoire pouvait encore le justifier face à une crise du logement qui a durée plus de trois décennies. Et même à cette époque, une partie des constructions respectaient quelque peu les principes d’une architecture raisonnée. Nous avons eu droit à un court répit durant les années 80-2000.

A présent, face à la cherté du marché immobilier et l’inflation du coût d’acquisition … les projets fleurissent dans lesquels la qualité de la construction est bradée pour satisfaire une demande. Il n’empêche que depuis plus de dix ans, les assureurs construction (décennale et dommage ouvrage) supportent directement les malfaçons en pagaille. Mais pour combien de temps encore. Nous entendons crier sur tous les toits qu’il faut cesser de consommer, de construire vite, de ménager les espaces et le bâti existant. Il nous arrive sans cesse de ces nouvelles totalement contradictoires.

Aujourd’hui nous assistons à une nouvelle génération de mitage sous le prétexte qu’un certain nombre de ces maisons sont inhabitées ou mal entretenues. Ce n’est pas faux. Il faut y remédier à la manière forte et ne pas se cacher derrière une lâcheté dissimulée soi-disant pour préserver la paix sociale. Le mitage est en train de désaccorder l’harmonie qui a pris parfois des siècles à s’installer. Bouleverser un écosystème architectural ne se remplacera à coup de PLU ! Les exemples de villes et de villages moches sont maintenant légions. Si les lois sur le patrimoine sont arrivées à une époque, elles le furent pour stopper la belle laideur grise, issue des coulées de béton qui inondent les villes et maintenant les villages. C’est ça la modernité ? En êtes-vous sûr ? Parce que ce qui est démoli ne revient pas. Il n’y aura pas de deuxième Maison Greder. Les quartiers en béton de nos grandes villes n’ont jusqu’à présent jamais attiré les foules et les touristes. A votre avis, à quoi cela est dû ?
Eglise de Geudertheim
Eglise de Geudertheim
Revenons à 1662 ! Année terrible qui ravage l’Alsace. C’est une période où le village de Geudertheim a connu beaucoup de destructions. La Maison Greder est un témoignage de ce temps. Michel Knittel l’explique bien mieux que nous à travers son article intitulé « la maison Greder de 1662, prochaine victime désignée ».
En dehors de toute considération historique, il faut évoquer les autres qualités de la Maison Greder. Quel rapport financier remarquable pour un investissement pareil. Je n’ose espérer que votre école durât 358 années ! le rapport coût/ bénéfice est sans commune mesure en ce qui concerne la Maison Greder.

Et que dire du rapport de durabilité des matériaux et de la construction. Plus écologique que cela, il n’est pas possible de le faire aujourd’hui. Le site Internet de la commune fait état d’un onglet sous la rubrique « air, eau, déchets, etc. ». Vous avez la fibre écologiste ? Pourquoi la Maison Greder n’y figure pas ? C’est pourtant bien le bâtiment le plus durable de votre commune !
Modernisation possible en détruisant un édifice traditionnel (photographie non contractuelle)
Modernisation possible en détruisant un édifice traditionnel (photographie non contractuelle)
A longueur d’année, nous entendons nos élus parler de patrimoine et d’écologie, mais ceci n’est que de l’esbrouffe. Rien n’est savamment pensé, rien n’est pérennisé pour les générations futures et à fortiori absolument rien ne peut être qualitatif dans un environnement toujours plus pressé. D’où tirez-vous la légitimité pour abattre une chose qui a quelques 358 années. Une œuvre qui a traversé les temps. Votre main frêle est en train de commettre un crime patrimonial et vous semblez encore le signer comme l’article précité l’atteste « C’est acté, il n’y a pas de discussion possible. Ils (ASMA) ne savent pas de quoi il parle. C’est facile de critiquer. (…) Nous on est assez grand pour savoir ce qu’on fait. Ce qu’on fait c’est d’utilité publique, il s’agit de construire une école ».

« Nous on est assez grand … ». Quel bel argumentaire. Quel savant discours de tribun ! Monsieur le Maire nous saluons en vous la parole d’un véritable Princeps senatus du SPQR de Geyderthe ! C’est vrai qu’avec de tels propos, le problème de la Maison Greder va avancer. Nous espérons toujours, dans un éclair de lucidité et après mûre réflexion, que vous saurez, trouver une réelle destinée à la maison Greder en l’intégrant à votre projet !

Sérieusement, nous allons développer ici une soft law qui nous semble être le devoir d’un vrai Maire et des personnes en charge du patrimoine.

En premier lieu, les centres historiques doivent être harmonieusement préservés de l’outrage du temps et des démolisseurs. Il ne sert à rien d’arracher et d’abattre si un projet n’est en mesure d’apporter un mieux. Malheureusement, la bonne architecture ne se décrète pas. Qui dit mieux dit plus de réflexion et évidemment plus de moyens. Comme nous aimons à le rappeler un bon travail demandera toujours du temps. La Neustadt de Strasbourg a été longtemps décriée avant son classement à l’Unesco, seulement en 2017 ... Elle l’avait surtout été parce qu’elle fût en partie bâtie sous l’impulsion des autorités allemandes et … alsaciennes. Faut-il le rappeler encore. Il faut saluer le soin, jadis, des dépositaires de l’autorité publique, qui avaient permis la continuité des formes et des couleurs en prolongement de la vieille ville, de sorte qu’aujourd’hui, nous y voyons une quasi parfaite symbiose des lignes et des tons. Comme le dit le professeur Hervé Doucet dans l’ouvrage Strasbourg-Riga « La coexistence joyeuse de tous les styles contribue à l’identité des rues de Strasbourg, elle participe d’une esthétique de la rue qui prohibe l’uniformité et encourage la variété. Les architectes qui ont œuvrés à sa construction, par leur parfaite maîtrise de tous les styles- historiques ou contemporains -, sont des virtuoses exceptionnels de l’éclectisme ». Cet état de fait, nous le devons à la fois à ces autorités d’avoir su écouter les administrés, mais aussi aux détracteurs et revêches alsaciens d’avoir su mettre une pression suffisante pour forcer à réfléchir et penser des projets urbanistiques dans la durée. Ces aménagements ont été imaginés il y a plus de cent vingt ans et semblent toujours fonctionner. La conclusion de tout ceci est un centre-ville gracieux. Il est dessiné non pas à coup de permis de construire, mais savamment préparé pour permettre l’intégration d’éléments nouveaux à l’époque. En 1943 et 1944, la ville de Strasbourg avait été sévèrement bombardée. Les balafres qui ont parsemées la ville ont été peu à peu effacées après-guerre, de sorte que l’on distingue imparfaitement les outrages de la guerre. L’illusion est parfois presque parfaite. Mais si à la place de l’ancienne douane, nous aurions hérité d’un bel immeuble en béton de quatre ou cinq étages, qu’elle bénéfice en tirerions-nous aujourd’hui ? Il faut là aussi saluer les élus de cette époque, qui ont su maintenir une harmonie malgré les larges crevasses d’alors et les moyens plus que restreints de l’après-guerre !

En deuxième lieu, pour les chantres de l’écologie politique, il est temps de jeter les bases d’un vrai urbanisme écologique ou en tout cas raisonné. Comment peut-on faire croire, que le calfeutrement des fenêtres ou la pose de panneaux en polyuréthane (hautement inflammable) puissent être qualifiés d’écologiques. Pensons aux malheureuses victimes de la tour Grenfell de London, qui du fait de ces isolants ont connu une fin dramatique. A titre d’illustration, les immeubles récemment construits disposent d’une touche bio ou écolo, en apposant par exemple sur une façade en béton des lattes décoratives et des balcons toujours en bois … En effet, ce sont bien des matériaux renouvelables mais dont la durabilité ne dépasse guère deux décennies au maximum et qui ne représentent d’un point de vue construction, qu’un très faible volume. Est-ce davantage pour soigner notre bonne conscience ? Probablement, faut-il cela pour se dire² écologique. Ce sont des cautères sur une jambe de bois.

Ce qu’il convient de privilégier ce sont les matériaux de construction de qualité, durables, résistants et qui bien souvent se patinent avec le temps. Ils ne nécessitent pas forcément la conservation d’une plastique irréprochable contrairement aux matériaux contemporains. Les matériaux contemporains ne sont pas faits pour vieillir mais pour être remplacés. C’est une logique. Ils font souvent une triste mine au bout de vingt ou trente ans. Et d’ailleurs vingt ou trente ans, ce n’est même pas 10% de la durabilité des matériaux de la Maison Greder.

Enfin, il faut privilégier l’harmonie de l’ancien et de l’inéluctable construction moderne en favorisant les matériaux vernaculaires (céramique, brique, bois, grès des Vosges, torchis, paille, fer ou fonte). Ces éléments sont trop peu présents dans les constructions contemporaines. Pourquoi ? A défaut, il faut privilégier les couleurs et les formes des existants dans le but d’un parfait assemblement dans lequel l’architecture contemporaine ne doit pas être étrangère mais s’intégrer dans une vue d’ensemble.

Il faut revenir à la source. Les principes de l’antiquité romaine et de l’architecture sont de bon aloi. Que nous raconte Vitruve dans son ouvrage De architectura. Il y a trois principes qui doivent guider une entreprise architecturale, et cela toujours dans le sens d’égaler la nature. Il faut respecter le firmitas, l’utilitas et le venustas ! Bien mieux que nous, Vitruve nous donne quelques explications dans le livre I de son ouvrage : « Dans tous ces différents travaux, on doit avoir égard à la solidité, à l’utilité, à l’agrément : à la solidité, en creusant les fondements jusqu’aux parties les plus fermes du terrain, et en choisissant avec soin et sans rien épargner, les meilleurs matériaux ; à l’utilité, en disposant les lieux de manière qu’on puisse s’en servir aisément, sans embarras, et en distribuant chaque chose d’une manière convenable et commode ; à l’agrément, en donnant à l’ouvrage une forme agréable et élégante qui flatte l’œil par la justesse et la beauté des proportions. ».

En troisième lieu, il faut user de son autorité, de son pouvoir de police du bâtiment. La loi ELAN votée en 2018, permet justement aux Maires de faire montre d’un peu plus d’audace dans la gestion des édifices en particulier, ces édifices de troisième ordre, ni vraiment palais, ni suffisamment sacrés pour échapper au vandalisme des propriétaires ou pour être considérés par une collectivité territoriale. Mais toutes ces petites maisons sont comme un manteau qui habillent les édifices les plus remarquables. Prenons le temps d’imaginer la Cathédrale de Strasbourg sans toutes les constructions aux abords. Quelle allure aurait le pourtour de la Cathédrale ? C’est un point de vue que l’on oublie trop souvent. La loi Elan permet de passer outre l’avis d’un Architecte des bâtiments de France si un édifice menace ruine, s’il est insalubre. De plus, le Maire exerce à ce titre la fonction d’autorité de police, notamment en ce qui concerne les immeubles en ruine, en péril, en danger. C’est bien leur permettre de prendre des initiatives. A cet égard, la très belle loi fédérale Suisse sur l’expropriation est un exemple et une belle technique juridique, qui règle les choses en profondeur (Loi Fédérale sur l’expropriation du 30 juin 1930). Le principe est simple. L’expropriant offre une indemnité à l’exproprié de la valeur vénale de l’immeuble, moyennant au nouvel acquéreur d’entreprendre des travaux et de donner à un immeuble une nouvelle destinée. Car c’est bien de cela qu’il s’agit. Ne pas exercer ces prérogatives de puissance publique, pour éviter des fâcheries, abouti à se retrouver avec un patrimoine en déshérence. Les centres historiques des villes et villages de France souffrent tous de cette situation. Si les maires d’Alsace ou de France ne veulent pas exercer cette prérogative qu’ils s’en dessaisissent ne serait-ce que pour le bien public. A titre d’exemple, l’article 4 d. et e. de la loi fédérale sur l’expropriation donne très clairement les causes possibles de l’expropriation : « pour la mise en œuvre des mesures de protection, de reconstitution ou de remplacement prises dans le cadre de la réalisation d’un ouvrage conformément aux dispositions fédérales sur la protection de l’environnement, de la nature et du paysage ; pour l’exécution des mesures nécessaires au remplacement en nature de droits expropriés ou à la sauvegarde d’intérêts publics ». Cette loi même si elle ne trouve pas à s’appliquer à l’Alsace, doit inspirer l’autorité de police du bâtiment dans chaque commune. Pourquoi attendre qu’un bâtiment tombe en ruine pour agir ? Pourquoi abattre sans chercher à réaffecter en priorité une construction ? Pourquoi chercher à appauvrir le patrimoine local et attendre une situation extrême pour se poser les bonnes questions ? Enfin pourquoi sacrifier l’héritage en appelant le secours de l’intérêt général ? Si la loi française et la jurisprudence sont muettes, rien n’empêche les élus locaux de faire davantage pression pour obtenir une loi qui prenne en considération ces problématiques, notamment le changement des mœurs qui explique en partie la désertification des centres historiques. Mais comme le dit Monsieur Lorentz membre de l’association ASMA, un projet intégrant la Maison Greder aurait pu voir le jour, comme cela se fait de plus en plus souvent de nos jours. Pourquoi un tel choix n’a pas été fait à Gyderthe reste un mystère ?

Si les services instructeurs des mairies d’Alsace et les services de l’Unité départementale de l’architecturale et du patrimoine n’agissent pas, ce seront probablement quelques 100 à 150 ouvrages en colombages petits ou grands, qui disparaitront chaque année. A ce rythme dans un siècle, ce sont 10 000 à 15 000 édifices qui auront disparus. Le caractère vernaculaire de l’Alsace aura presque disparu dans certains villages. A quoi ressemblera l’Alsace d’alors ? Elle ressemblera à n’importe quelle région du monde, d’une banalité crasse. Le terme monument historique se traduit en anglais par heritage. Alors, comment peut-on laisser de telles prérogatives à des élus locaux, n’ayant pas de sensibilité pour le patrimoine. C’est prendre un risque de voir la disparition nette du patrimoine. L’alchimie du passé qui faisait émerger des villages féériques a disparu depuis longtemps. Comment se produisaient ces assemblages harmonieux ? Le fait de réaliser des constructions qualitatives reposait sans doute sur les principes de Vitruve « solidité, utilité et agrément ». C’est sans doute également aussi le bon sens paysan d’antan qui s’exprimait … et celui-ci a quitté depuis bien longtemps certains esprits alsaciens, qui s’activent à enlaidir les villages de notre belle région. Alles muess suffer un proper !


*Epers : “Éléments Pouvant Entraîner la Responsabilité Solidaire”


Références :

- La « Maison Greder » de 1662, prochaine victime désignée, Michel Knittel, avril 2020.
- Strasbourg-Riga : L’art Nouveau aux confins d’empires, La revue de de la BNU, éditions Bibliothèque Nationale Universitaire Strasbourg, 2019.
- Objectif Strasbourg, Les bombardements américains de 43-44, Richard Seiler, 1943, éditions de la Nuée bleue, 2013.
- Site de l’association pour la sauvegarde de la maison alsacienne : www.asma.fr
- Site de l’association des maires de France : www.amf. fr
- Site de la commune de Geudertheim : www.geudertheim.fr

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