Cette marqueterie raffinée de Charles Spindler, réalisée vers 1900, s’inscrit pleinement dans l’esthétique singulière que l’artiste développe au tournant du siècle, mêlant tradition artisanale, sensibilité symboliste et goût pour la poésie des paysages alsaciens. Spindler, maître incontesté de la marqueterie alsacienne, atteint ici une forme d’épure magistrale où la virtuosité technique se fait discrète pour mieux servir l’atmosphère.
La composition présente la cathédrale de Strasbourg, reconnaissable à sa flèche élancée, réduite à une silhouette sombre qui se découpe avec douceur sur un ciel ambré. Spindler privilégie une lecture en clair-obscur, travaillant la lumière non par le modelé mais par la variation subtile des essences de bois : érable, noyer, merisier ou poirier semblent ici dialoguer dans une harmonie chaude et feutrée. Le bois, matériau vivant, devient médium de la lumière.
Au premier plan, un nid de cigognes posé sur une cheminée monumentale introduit une note profondément alsacienne. Les deux oiseaux, symboles identitaires de la région, sont représentés avec une finesse remarquable dans le choix des placages : la blancheur légèrement veinée de l’un, le motif plus sombre du plumage de l’autre témoignent de l'extraordinaire précision de Spindler dans l’art de « peindre » par la matière. Ce motif naturaliste apporte une dimension de vie et de poésie, contrastant avec la monumentalité silencieuse de la cathédrale à l’arrière-plan.
Le jeu des toits géométrisés, dont les plans inclinés découpent l’espace dans un rythme presque architectural, ancre la scène dans une perspective urbaine tout en soulignant le lien intime entre la ville, son patrimoine et ses symboles naturels. La marqueterie devient ainsi paysage, mais aussi allégorie : la Cathédrale — symbole spirituel et historique — et la cigogne — symbole vernaculaire — cohabitent dans un même champ visuel, réunis dans une atmosphère crépusculaire.
L’ensemble se distingue par une sobriété volontaire, presque méditative, typique de Spindler : pas de surcharge décorative, mais une recherche d’équilibre où chaque veinure, chaque nuance de bois participe au sens. La scène semble suspendue dans un temps immobile, capturant l’essence même d’une Alsace rêvée, ancrée dans la tradition mais ouverte à une modernité sensible.
Cette œuvre, rare par son intensité poétique autant que par la délicatesse de son exécution, constitue un exemple abouti du renouveau des arts décoratifs alsaciens autour de 1900, portée par des artistes comme Spindler qui ont su élever la marqueterie au rang d’art à part entière.
* Format inclus le cadre comme toujours chez Spindler.
neustadtgalerie.com -